Phelimuncasi signifie littéralement : “tu bois ce que tu as dans les mains avec une paille et tu le finis !” Comme un cocktail addictif, la musique du trio Phelimuncasi fédère et rend vivants les gens qui en font l’expérience. En toile de fond, le gqom du groupe s’inspire du toyi-toyi, un mélange de danse et de marche guerrière repris dans les manifestations anti-apartheid et plus récemment pour exprimer une certaine colère envers un gouvernement passif. De manière toujours pacifique, les Phelimuncasi ont toujours pris part au combat, véhiculant leurs messages de fête à travers cette arme puissante et non-violente qu’est le gqom. En bravant les époques et l’évolution des genres, nos trois raconteurs d’histoires sont devenus des piliers underground d’une Afrique du Sud ultra-créative. Après un album rétrospective sorti en 2020, Nana, Khera et Malation ont réuni une poignée de producteurs solides pour pondre Ama Gogela (2022), leur dernier disque déjà essentiel qui donne une furieuse envie de leur emboîter le pas partout où ils passent. Et notamment à Paris au festival Nyokobop au Hasard Ludique puis le lendemain à Lille, le 19 novembre au Flow, où PAM vous attend.
En 2012, lorsque vous avez lancé le projet, quel était votre objectif principal ?
Khera : Au début, nous étions dans l’industrie de la musique, mais nous ne faisions pas de gqom. Quand le gqom a été découvert, c’était plus facile d’y entrer car c’était un nouveau genre, et la plupart des artistes étaient inconnus à cette époque. On en a profité pour commencer à faire du gqom et on y a ajouté nos voix. Nous voulions absolument faire danser les gens mais nous voulions aussi être reconnus dans l’industrie de la musique.
Comme vous pouvez l’imaginer, je ne comprends pas les paroles en isiZulu, de quoi parlez-vous dans ce dernier album ?
Khera : On parle de fête, de religion, des hauts et des bas de la vie, et on dit aux gens qu’un jour, s’ils travaillent dur, ils s’en sortiront.
Ça fait plus de 10 ans que vous faites cette musique. Comment voyez-vous votre évolution ?
Khera : Ce rythme gqom est aussi bien utilisé dans les événements politiques que dans les fêtes. Il y a certainement une influence politique, mais elle réside dans la musique elle-même, inspirée par ce kick particulier et cette façon de danser en tapant du pied sur le sol. Avant, on parlait de politique dans nos morceaux, mais aujourd’hui on parle surtout de faire la fête. Notre style a changé au fil des années, nous essayons de développer notre musique et notre voix à mesure que la vie évolue.
Quel est le pouvoir de votre musique sur l’esprit et le corps des gens ?
Nana : La plupart d’entre eux chantent en chœur avec nous, même s’ils ne comprennent pas les paroles. Dès que nous commençons à danser, ils se rendent compte que la chanson parle de bouger nos pieds d’un côté ou de l’autre. Par exemple quand on chante « I don’t feel my legs, I don’t feel my hands, Ihuuu Ishuuu Ishuuu Mama Ishuuu », ils savent de quoi on parle et on voit qu’eux aussi ressentent la douleur ! Même si vous ne comprenez pas les paroles, nous veillons à ce que vous en compreniez le sens lorsque nous jouons en live.
Malation : En Afrique du Sud, ils comprennent le message. Lorsque nous composons, nous essayons de construire une histoire dans chaque chanson.
Ama Gogela est une grosse abeille connue pour sa force et sa férocité. Quelle est ici la métaphore ?
Nana : Partout où nous allons, nous laissons quelque chose, nous imprimons notre nom, nous nous assurons que les gens se souviennent de nous !
Malation : Partout où on va, on pique les gens ! (rires) On fait des injections de musique pour les faire danser.
Derrière la production, on entend encore DJ MP3, DJ Scoturn ou Menzi, mais aussi le sud-coréen Net Gala entre autres… Cherchez-vous quelque chose de spécial dans la production ?
Khera : Ces producteurs peuvent nous donner ce que nous voulons. En tant que vocalistes, nous imaginons les rythmes et les histoires dans notre esprit. Tous ces producteurs sont importants dans l’industrie de la musique, c’est pourquoi nous avons pensé qu’ils pourraient satisfaire nos besoins. Travailler avec Net Gala, c’était autre chose. Il vient de Corée du Sud et a pu nous donner quelque chose d’inattendu.
Malation : Aussi, nous sommes toujours là pour les guider et leur faire comprendre ce que nous voulons. Nous avons un style particulier et nous veillons à ne pas le perdre, c’est pourquoi nous les accompagnons.
A chaque fois qu’un nouveau genre apparaît en Afrique du Sud, on a l’impression que des tonnes de producteurs essaient de faire la même musique, au risque de se ressembler, comme dans l’amapiano. Selon vous, qu’est-ce qui vous différencie ?
Khera : C’est vrai, quand tu écoutes l’amapiano et le gqom, il y a juste des petites différences. Mais si tu écoutes de l’amapiano d’un producteur à l’autre, cela sonne de la même manière, parfois seuls les drums sonnent différemment. Dans notre musique, on te donne un rythme solide et on ajoute notre voix et notre créativité. Lorsque nous enregistrons, nous essayons de traduire le langage du rythme avec notre voix. C’est vrai, quand tu écoutes l’amapiano et le gqom, il y a juste des petites différences. Mais si tu écoutes de l’amapiano d’un producteur à l’autre, cela sonne de la même manière, parfois seuls les drums sonnent différemment. Dans notre musique, on te donne un rythme solide et on ajoute notre voix et notre créativité. Lorsque nous enregistrons, nous essayons de traduire le langage du rythme avec notre voix.
Quand j’écoute des albums ou des EP de gqom de nos jours, on sent que les sons « mainstream » ont pris le dessus. Les producteurs ajoutent beaucoup de synthés et d’éléments EDM (Electronic Dance Music, Ndlr). De votre côté, vous avez totalement réussi à rester underground, pourquoi ne suivez-vous pas les tendances ?
Malation : En Afrique du Sud, c’est très dur de devenir mainstream ! Il y a de gros poissons ! (rires)
Nana : Et ils ne laissent pas les petits poissons nager autour d’eux !
Malation : Tu restes toujours underground jusqu’à ce qu’ils te reconnaissent.
Khera : Notre musique a été découverte vers 2010-2012. À cette époque, il y avait plus de kwaito, donc quand nous avons commencé, cette musique gqom n’était pas encore autorisée pour être diffusée à la télévision ou à la radio. Nous avons dû être patients et rester underground jusqu’à ce que nous saisissions l’opportunité. Nous sommes toujours considérés comme underground, mais nous avons percé en tant que chanteurs de gqom.
On dit beaucoup de choses sur les jumeaux ! Il semblerait qu’ils soient liés d’une certaine manière… Nana et Khera, c’est votre cas, et Malation fait aussi partie de la famille. Pouvez-vous ressentir ce lien en tant que groupe ?
Khera : Je crois vraiment que notre mère a eu des difficultés à nous élever ! On se battait, on portait les vêtements de l’autre… Mais maintenant, nous savons que quelle que soit la nature de la dispute nous devons la régler.
Nana : Même si nous nous disputons parfois, nous savons que nous ne nous séparerons jamais. A la fin de l’histoire, on sait qu’on doit de toute façon retourner dans la même maison pour dormir (rires).
Phelimuncasi sera en concert à Lille au Flow, lors de la soirée PAM du 19 novembre 2022. Suivez l’invitation ici.
A retrouver à Paris le 18 novembre dans le cadre du festival Nyokobop au Hasard Ludique.